Parcours
Carlos Cairoli a suivi de longues études à l'Académie des Beaux-Arts puis à l'Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Buenos Aires (de 1943 à 1952). À la fin des années 1940, il se rallie à l'avant-garde en participant aux recherches du Groupe Expérimental d'Art Spatial dirigé par Lucio Fontana qui le conduit à s'intéresser aux effets de la lumière sur les matériaux. Il établit aussi des contacts avec Torres-García qui le familiarise avec l'histoire du Constructivisme en Europe et plus particulièrement avec l'art de Mondrian.
Comme nombre de ses compatriotes (Arden Quin, plus tard Botho et Vardanega, Antonio Asis …), Cairoli choisit de s'installer à Paris qui, à cette époque, continue d'exercer son pouvoir d'attraction sur toute la jeune génération.
Dès son arrivée dans la Capitale des Arts, en 1952, il rend visite à l'un des pionniers de l'art abstrait, Georges Vantongerloo. Ses œuvres datant de 1937-1950, vouées à la métamorphose de la ligne, présentent une abstraction épurée et minimale à laquelle les peintures de Cairoli de 1952-53 offrent un bel écho : on observe le développement d'un réseau graphique extrêmement fin de lignes droites ou serpentines s'entrecroisant sur un fond monochrome. Leur facture lisse et nette témoigne d'un métier parfaitement maîtrisé. Assez vite, l'artiste argentin élimine la courbe et l'oblique, renonce au jeu des formes libres pour suivre de nouvelles voies.
Dès son arrivée dans la Capitale des Arts, en 1952, il rend visite à l'un des pionniers de l'art abstrait, Georges Vantongerloo. Ses œuvres datant de 1937-1950, vouées à la métamorphose de la ligne, présentent une abstraction épurée et minimale à laquelle les peintures de Cairoli de 1952-53 offrent un bel écho : on observe le développement d'un réseau graphique extrêmement fin de lignes droites ou serpentines s'entrecroisant sur un fond monochrome. Leur facture lisse et nette témoigne d'un métier parfaitement maîtrisé. Assez vite, l'artiste argentin élimine la courbe et l'oblique, renonce au jeu des formes libres pour suivre de nouvelles voies.
Cairoli, en effet, quitte la planéité du tableau pour réaliser ses premiers reliefs à travers lesquels il manifeste une volonté de rigueur et d'économie de moyens accrus. De format rectangulaire ou carré, ils résultent de l'assemblage de lignes de métal en relief, mises en relation avec des petites surfaces de Plexiglas quadrangulaires.
La répartition de ces éléments, soumise à la règle de l'orthogonale, crée à la fois des équilibres et des oppositions. Si l'on peut y voir une fidélité aux principes du néoplasticisme de Mondrian, Cairoli s'autorise cependant encore quelques écarts dans le choix des couleurs qui, loin de se limiter aux seules primaires, s'étend à l'orange et au violet. Selon un principe auquel il restera fidèle, l'artiste aime particulièrement étudier les effets vibratoires résultant du redoublement et de la superposition décalée d'une ligne ou d'un plan.
À partir de 1954, Cairoli expose ses œuvres au Salon des Réalités Nouvelles dont la spécificité et la réputation tiennent à la dévotion exclusive à l'art abstrait. Là, il noue des liens avec d'autres représentants majeurs de l'abstraction géométrique en France, comme Herbin qui, à cette époque, occupe le poste de président du Salon. Son influence sur les œuvres de Cairoli se décèle dans une prédilection pour les formes géométriques fondamentales (triangles, cercles, lignes) dont il explore les multiples combinaisons. Mais d'emblée, l'artiste argentin se distingue en limitant son langage à quelques-uns de ces invariants plastiques qui, peints à petite échelle, sont disposés avec parcimonie sur un fond monochrome.
L'évolution des reliefs de Cairoli montre une orientation vers un plus grand ascétisme formel : leur composition se réduit à quelques tiges d'aciers, l'artiste ne s'autorise que le noir, le blanc et le gris. Il met en place une forme de « linéarisme » spatial qui résulte de l'assemblage dense et serré de tiges de métal de hauteur variable, et dont la verticalité donne un élan ascensionnel à l'œuvre.
Dans ses collages, Cairoli accomplit un autre engagement : son écriture se limite au dialogue entre carrés, rectangles et lignes droites, leur positionnement est uniquement régi par l'horizontale et la verticale, les plages de vide deviennent plus importantes.
En 1957, Carlos Cairoli marque un tournant décisif dans son œuvre en réalisant ses premières « Constructions spatiales » intitulées : Structures spatiales, Interpénétrations spatiales ou bien encore Structure-Contraste spatial, Tension spatiale horizontale, Rythme spatial. Ainsi, d'une construction à l'autre, selon le thème plastique abordé (tension, rythme, contraste), Cairoli privilégie la verticalité, l'horizontalité ou bien encore la densité. Exécutées exclusivement en plaques de Plexiglas, rassemblées entre elles par de discrètes tiges métalliques, ces constructions, d'assez grande dimension, s'attachent à explorer les vertus de la transparence. Respectant le mode d'assemblage orthogonal du néoplasticisme, elles ont pour composantes essentielles l'air et le vide et expriment une réflexion sur l'infini et l'espace. Le recours à des formes ouvertes et à la transparence révèle le fonctionnement interne de l'œuvre et répond surtout à la volonté de transcender la rigidité de l'espace géométrique afin d'introduire un continuum entre le dedans et le dehors, le perçu et le vécu. Les interactions dynamiques entre les plans donnent une conscience plus vive de l'espace, et impliquent plus intensément le regard du spectateur.
Véritables architectures virtuelles, ces œuvres de Cairoli, par leur raffinement et l'emploi du Plexiglas, sont les dignes héritières des assemblages dématérialisés des constructivistes Pevsner, Gabo et Moholy-Nagy. Elles abordent la question de l'intégration de ses œuvres dans le domaine de l'architecture selon une approche plasticienne, préconisée par Mondrian et les autres membres du Stijl tels que Van Doesburg et Vantongerloo.
Au Salon des Réalités Nouvelles, Cairoli appartient à un groupe homogène d'artistes qui comprend Jean Gorin, Georges Folmer, Servanes, Adolphe Cieslarczyk, Luc Peire, Leo Breuer. Ensemble, ils incarnent la tendance géométrique et constructive de l'abstraction et tous préconisent l'usage du relief et des constructions. Cet intérêt commun les conduit à créer en 1960 le Groupe Mesure, dont le nom renvoie aux valeurs traditionnellement associées à l'esprit de géométrie, soit l'ordre, l'harmonie, la précision, la pureté ou bien encore l'universalisme. Cairoli, quant à lui, avait milité pour une autre appellation, le « Regroupement de peintres et sculpteurs Constructivistes », utilisée par le critique Veillon-Duverneuil dans un article paru dans Combat rendant compte de la participation au Salon des Réalités Nouvelles de 1959 des futurs artistes du groupe Mesure mais aussi de Günter Fruhtrunk, François Morellet, Marcelle Cahn, Aurélie Nemours, Marino di Teana et Norbert Kricke… En mars 1961 se tient la première exposition du Groupe Mesure au musée des Beaux-Arts de Rennes. Très impliqué, Cairoli conçoit la couverture du catalogue : d'une sobriété remarquable, limitée au noir et blanc, elle joue efficacement de l'opposition entre une longue verticale et trois courtes horizontales superposées.
Cependant, l'adhésion de Cairoli sera de courte durée : après cette exposition, il s'éloigne du groupe en raison d'un malentendu autour de la ligne esthétique et l'idéologique. En effet, Cairoli prônait une approche de l'abstraction géométrique stricte, fidèle aux préceptes théoriques défendus par le Constructivisme historique, comme d'ailleurs l'indiquait le titre qu'il avait initialement proposé.
Après cet incident, Carlos Cairoli se concentre sur la création d'un « Centre expérimental sur les recherches spatiales formelles » aux côtés de Veillon-Duverneuil, et qui donnera lieu à une exposition en 1962 dans la galerie Dautzenberger. Une plaquette accompagnant l'événement signale les participations, outre de Cairoli, d'Antonio Asis, Maxime Descombin, Delamarre, Anthony Hill, Kenneth Martin, Stephen Gilbert, Gillian Wise, Mary Martin, Narciso Debourg et de Jean Prouvé (ill du catalogue) ; elle affiche également les ambitions pluridisciplinaires de ce groupement qui inclut la poésie, le théâtre et la danse, et qui recommande dans ses statuts : « des recherches dans l'évolution constructiviste et spatiale de tendance formelle » avec « pour moyen d'expression les structures géométriques (…) employant les cinq éléments par excellence : la ligne, le plan, le volume, le son et le mouvement. C'est une synthèse totale de la recherche des lois fondamentales. » Malheureusement, faute de financements suffisants, Cairoli ne renouvelle pas l'expérience. Ses difficultés à s'imposer sur la scène artistique parisienne, au fil des années, le conduiront à nourrir une profonde méfiance envers la galeriste Denise René, qui depuis le milieu des années 1950, s'était imposée comme principale défenseure de l'abstraction géométrique en France avec des artistes tels que Vasarely et ceux du GRAV.
Néanmoins, dans le même temps, le travail de Cairoli trouve un écho très favorable aux Pays-Bas, après qu'il ait fait la connaissance en 1960 de l'artiste hollandais Joost Baljeu, fondateur de la revue Structure (1958-1964). Au fur et à mesure de ses livraisons, cette revue s'est imposée comme le fer de lance d'un mouvement géométrique constructif international ; ses collaborateurs, dont Cairoli, Max Bill, Charles Biederman, Eli Bornstein, Ad Dekkers, John Ernest, Karl Gerstner, Stephen Gilbert, Jean Gorin, Anthony Hill, Kenneth et Mary Martin et Carel Visser, souhaitent prolonger ou reconsidérer les principes établis par le Bauhaus, le Constructivisme et par la revue De Stijl. Nombre de ces artistes figurent dans l'exposition majeure qu'organise Baljeu en 1962, Experiment in Constructie, au Stedelijk Museum d'Amsterdam, sous l'égide de son conservateur Willem Sandberg . Carlos Cairoli y participe aux côtés de Jean Gorin, Charles Biederman, John Ernest, Anthony Hill, Mary Martin, Baljeu et Dick van Woerkom (architecte). Ayant circulé dans différents musées européens, cette exposition marque le début d'une longue série de manifestations internationales dédiées à l'art du relief et de la construction, démontrant ainsi l'importance de ce courant dans l'art du XXe siècle (ill de la page consacrée à Cairoli).
Pour Cairoli, cet événement constitue une étape importante car il contribue à renforcer son amitié avec des acteurs majeurs de la scène artistique hollandaise, notamment Willem Sandberg (Directeur du Stedelijk Museum d'Amsterdam) et Herman Swart (Directeur de la Nederlandse kunststichting - Fondation néerlandaise des arts plastiques). Jusqu'à la fin des années 1970, il entretiendra avec ces derniers des liens d'amitié profonds, comme l'atteste leur correspondance épistolaire : elle témoigne des efforts de Sandberg et de Swart pour mettre en relation Cairoli avec des collectionneurs ou encore pour l'aider à obtenir des bourses (auprès de la Fondation Mees notamment). Herman Swart, après l'exposition du Stedelijk Museum, a invité entre 1962 et 1963 Cairoli à participer à Confrontatie (Confrontation), une exposition de groupe qui se déroule au musée d'état Twenthe à Enshede, au centre culturel de Breda et d'Amersfoort. Cairoli lui exprime sa gratitude dans la plaquette qui accompagne une autre exposition dont il bénéficie à la fin de l'été 1963 au musée de Toulon, intitulée Espace Plastique, Espace Dynamique. Les liens de Cairoli avec les Pays-Bas sont tels qu'en 1973 il envisage de s'y installer « dans la mesure où la Hollande puisse devenir un centre de l'évolution actuelle important du néoplasticisme et du constructivisme, ceci, il faut le faire, c'est vital, c'est urgent, c'est pour un équilibre des forces des générations à venir ».
Au début des années 1970, Cairoli, après avoir traversé une crise passagère dans son travail connaît un regain de vitalité. Sur une période allant de 1971 à 1983, il réalise de nouveau un nombre important de sculptures en Plexiglas qu'il expose aux Salons Comparaisons, Grands et Jeunes d'aujourd'hui. Celles-ci se distinguent des précédentes par leur caractère volumétrique plus marqué : les plaques de Plexiglas gagnent en épaisseur, jusqu'à devenir des parallélépipèdes. Ici Cairoli joue de l'addition orthogonale de volumes, là de leur superposition décalée, donnant ainsi lieu à des discontinuités (Sculpture, discontinuité linéaire, 1971). Certaines sculptures, à l'inverse, s'imposent par leur caractère monolithe affirmé, qu'allège l'incision à leur surface de fines lignes exprimant les notions de rythme et de dynamisme (Sculpture-Symétrie dynamique, 1973). Dans ces œuvres, Cairoli atteint une dimension spatiale élargie, où la relation entre lumière et matière n'est altérée en rien. Si l'artiste n'a jamais consacré de longs écrits à son travail, certains passages de ses lettres expriment une forme de constructivisme vitaliste qui trouve sa source dans le spectacle de la nature et de la lumière du sud : « La Méditerranée, avec sa luminosité vibrante, incorpore dans mon esprit des dimensions à considérer, tout cela s'annonce fécond. De Seurat à Mondrian et à Malévitch, il n'y a eu qu'une variante d'absolu, une dynamique différente, aussi ivre d'espoir qu'une que l'autre, à la recherche d'une plasticité que déterminent les deux extrêmes du langage de la couleur par rapport à se dimensionnalité créatrice. Cela est une magnifique leçon pour sonder le problème de l'espace lumière. » (Brouillon d'une lettre que Cairoli destine à Sandberg, écrite à Toulon, le 9 août 1973).
Fruit d'une démarche exigeante, menée avec persévérance dans la solitude de l'atelier, l'œuvre de Cairoli témoigne d'une approche sensible du monde, où l'alliance des formes fondamentales au Plexiglas s'attache à traduire les propriétés dynamiques et vibratoires de la lumière. Les œuvres de Cairoli, liées à la vision et aux matériaux nouveaux, activent l'espace et la lumière pour faire de l'œuvre le lieu d'un événement visuel.
Domitille d'Orgeval